jeudi 6 novembre 2008

La Circonférence de l'Amour - Chapitre 20-3

Nous ressortons, un peu désœuvrés. Dehors de jeunes gens occupent bruyamment une terrasse improvisée. Selon toutes vraisemblance, le degré d’ébriété du groupe a atteint un stade avancé. Suffisamment pour leur tirer des beuglements incompréhensibles que ne couvrent pas les bruits de verres brisés et de mobilier malmené.
Le temps de réfléchir à une solution de replis, nous sommes assailli par un homme d’une bonne trentaine d’années. Non, plutôt quarante. Dynamique, plutôt classe et passablement saoul quoique largement clairvoyant. Après m'avoir mouché sous prétexte que je suis une femme, il s’adresse à Christophe : « Le XXIème siècle tu sais ce que c’est ? »
Conscient de l'état d'alcoolémie avancé de son interlocuteur, Christophe hésite :
« Heu, non mais je sens que tu vas me le dire.
- Parfaitement, le XXIème siècle c’est le siècle de la femme !
- Ah ? Comment ça ?
- Tu veux que je t’explique de quel point de vue ? »
Il ne fait aucun doute que l’énergumène attend que le mot magique soit lâché. Le mot qui lui permettra de déverser un flot de paroles passionnées. Ce sésame, c'est bien sûr « sexuellement ». Christophe tente d'éviter le sujet.
« D'un point de vue sociologique ? »
Sans succès.
« Ah, t’es sûr que tu préfère pas que je t’explique pourquoi le XXIème siècle sera celui de la femme, sexuellement ? »
Il sourit et acquiesce. Non pas que cela le gène de parler sexualité avec un parfait inconnu – j'ai souvenir d'avoir partagé quelques conversations particulièrement impudiques – cependant, il semble appréhender quelque peu la réponse.
Il fait plutôt froid, et la perspective de se voir expliquer comment la vie maritale d’un aîné peut-être aussi palpitante qu’un film de Lelouche, ne l'enchante que partiellement.
« Les femmes d’aujourd’hui, elles ont toutes des sex-toys. Et nous dans tout ça ? A quoi est-ce qu’on sert ? »
Merde !
Il est vrai que les jouets sexuels pénètrent petit à petit les mœurs de la femme du XXIème siècle. Cadeau coquin, blague d'étudiant, ou accessoire de mode, nombreuses sont celles qui en possède un. En général bien au chaud dans un placard, caché entre deux pulls. Il y a quelques années, une amie m'a offert un vibromasseur. J'ai d'abord trouvé l'intention plus que douteuse. Puis avec le temps, ce “petit” objet s'est révélé très utile.
Pour autant, faut-il tirer la sonnette d’alarme – à défaut d’autre chose ? Est-ce là la mort annoncé du phallus en tant qu’organe biologique ? Cette question, j’en suis sûr, en inquiète plus d’un. Pourtant ce serait prendre une pompe a essence pour un puis de pétrole.
Si les lapins vibrants, boules de geishas et autres godemichés à la taille imposante, sont aujourd’hui parfaitement intégrés à la garde robe de toute femme moderne, ils ne sont en fait qu’une nouvelle forme de distraction. Une sexualité alternative en quelque sorte, honteuse jusqu’alors, elle s’est depuis largement démocratisée.

Depuis la nuit des temps, les hommes se masturbent, alors pourquoi pas les femmes ? Parce que cela embêterait bien ces messieurs, ils se sentiraient parfaitement inutiles et n’auraient d’autre solution que de partir la queue entre les jambes. Dans une société phallocrate jusqu’au bout du membre, ce serait un comble. La bombe nucléaire, l’encombrement des déchets radioactifs, le réchauffement de la planète… tout le monde s’en fout. Cela ne fait plus peur qu’à quelques activistes à qui il reste encore un semblant de conscience citoyenne et écologique. Par contre, l’avènement du vibromasseur, tout le monde en tremble !
Le XXIème siècle sera celui de la femme à n’en pas douter. De la femme libérée, de ses tabous, aux mœurs un peu plus légers. Le XXIème siècle sera celui de la femme vivante, ou ne sera pas. Ce siècle : il sera mien.

Colin VETTIER

La Circonférence de l'Amour - Chapitre 20-2

Une heure plus tard nous sommes tout les trois réunis. Ils parlent de leurs couples, me rassurent à demi mots. Les verres vides s’accumulent doucement sur la table.

Un groupe d’étudiants ostensiblement alcoolisés entrent dans le bar, et commandent deux mètres de vodka. Le patron, qui observait la scène, s’approche.
« Je ne crois pas que ce soit une bonne idée. Vous n’êtes pas ici pour boire comme des trous et vomir dans une demie heure. »
Comme l’ambiance s’échauffe, nous décidons de vider les lieux. Au moment de régler, l’un des jeunes hommes du groupes saisi le bras de Christophe.
« Tiens mec, bois un verre avec moi. » Il lui tend un shooter de vodka. Christophe s’en empare amusé et jette un « à la tienne Etienne » amical. Son ami d’un soir le regarde surpris, ses yeux brillants écarquillés.
« Comment t’as deviné que je m’appelais Etienne ?
- C’est pas vrai ? » lâche Christophe incrédule. « Tu t’appelles vraiment Etienne ? »
- Ouais. Depuis que je suis né, même.
- Merde alors ! »
Ils trinquent, tout deux amusés par la situation.

L’air frais qui nous accueille à la sortie est vivifiant. J’inspire une grande bouffée et l’exhale doucement. 
« Et maintenant, où est-ce qu'on va ? 
- Le Safari non ? C'est un peu loin, mais c'est probablement le seul bar où on sera tranquiles un jeudi soir. »
Peu attirés par l'idée de nous retrouver noyés dans une houle estudiantine alcoolisée, nous acceptons la proposition avec joie.
Après quelques quinze minutes de marche à pied, nous arrivons devant le bar en question. “Lounge” annonce la devanture en grande lettres roses. En Français, cela signifie “Bar équipé de canapés fréquentés par une population ayant une conscience de la mode proche de l'omniscience”.
Le rez-de-chaussé de l'établissement convoité est plein a craquer. Nous nous dirigeons donc vers l'escalier. Là un vigile équipé d'un costume et d'un centaine de kilos de muscles nous barre le passage.
« Pas possible. Réservé. »

Mince.


Colin VETTIER